Land Art. Les secrets d’une rocade fantôme, la L2,
nous conduisent en dehors de Marseille sur les traces d’un ouvrage
insolite, perdu, oublié depuis vingt ans et dont on vient de percer le
mystère.
Elles sont là, pareilles à des sentinelles qui tiennent l’entrée nord de Marseille, énigmatiques, sans nom, plantées dans l’herbe détrempée d’un vaste bassin de rétention creusé à la confluence des autoroutes A7 et A55 sur la commune des Pennes-Mirabeau.
Treize colonnes de béton brut, en courbe, à la chute du tunnel des Treize-Vents qui franchit le massif de l’Estaque, alignées en plan horizontal parfait, muettes comme des statues de l’île de Pâques. Chacun d’entre nous les a un jour aperçues en allant sur Vitrolles ou en revenant de Martigues. Seuls les automobilistes peuvent voir ces géants de béton. « J’ai jamais su ce que c’était », s’étonne un riverain du quartier de la Cabassette qui les aperçoit au loin depuis des années. Un sentier à travers bois connu des taggers nous guide vers ce no-man’s land incroyablement calme et champêtre, investi par les lapins. Le spectacle de mégalithes alignés est saisissant à l’épicentre de ce vaste spaghetti autoroutier où se déversent chaque jour le flux torrentiel de 230.000 véhicules du Grand Marseille. Mais qu’est-ce donc ?
Au départ de cette intrigue urbaine, un renseignement nous signalant ces vestiges comme l’oeuvre d’un prof d’urbanisme de Luminy, ce que démentait l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Marseille. Aucune trace à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de ce qui est très visiblement un ouvrage d’art. Rien non plus à la Direction interdépartementale des routes Méditerranée, héritière dans ses sous-sols des archives de l’ex-DDE. Force est de constater que l’ouvrage a disparu des mémoires, effacé des administrations en restructuration. « On voudrait intervenir dessus, on ne saurait même pas ce que c’est », s’étonnait-on à la DIRMED. Interrogée en mars 2012, la Direction régionale des Affaires culturelles excluait que ce fut une réalisation au titre du “1% artistique”. Elle lançait toutefois sa propre enquête pour tirer au clair cette énigme et triomphait dix mois plus tard, grâce à la ténacité de Mireille Jacques, l’assistante de la conseillère pour les arts plastiques. De nous révéler en janvier 2013, une surprise de taille : « L’ouvrage constitué de 13 piliers situé entre Marseille et Vitrolles à l’embranchement des autoroutes A55 et A7 qui n’est visible qu’en voiture, a vraisemblablement été conçu dans les années 93/94. Il est l’oeuvre de Kathryn Gustafson. »
« Une belle histoire d’une oeuvre qui n’est peut-être pas révélée »
Les treize piliers au centre du vaste échangeur autoroutier des Pennes-Mirabeau - 12 hectares de superficie - sont bien l’oeuvre de cette architecte paysagiste américaine de renommée internationale. Au sein de deux cabinets, Gustafson Porter (Londres) et Gustafson Guthrie Nichol (Seattle), cette plasticienne de 62 ans, formée à Paris, a imprimé son identité sculpturale à de nombreux espaces publics dans le monde. Sa réalisation la plus connue se trouve à Londres : la fontaine à la mémoire de Diana, Princesse de Galles, à Hyde Park en 2004. Les réalisations de cette « sculptrice du paysage » sont une réflexion sur l’histoire d’un site, la nature qui l’environne, la conscience physique de l’écoulement dans le temps et dans la terre d’un fluide essentiel, l’eau. Ainsi d’un ouvrage mémoriel qu’elle réalise actuellement : le Jardin du Pardon de Beyrouth.
Cette francophile diplômée de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles a livré à la France des oeuvres remarquables qui empruntent au mouvement Land Art. Ainsi des Jardins de l’Imaginaire (1997) à Terrasson-la-Villedieu en Dordogne. C’est encore à Kathryn Gustafson que l’on doit l’aménagement très zen du jardin intérieur (ci-contre) de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence qui fait ressurgir une noria du XIIème siècle.
On lui doit le square des droits de l’homme a à’Evry, le Square Rachmaninov à Paris. Jusqu’au design d’une nouvelle génération de pylônes EDF, C’est donc cette plasticienne reconnue qui, voilà vingt ans, a légué à Marseille sa « porte d’entrée ». « C’est une belle histoire d’une oeuvre qui n’est peut-être pas révélée ni lisible pour les profanes mais si cet échangeur énorme a une âme, c’est bien le résultat de son travail », se souvient Régine Vinson qui collabora au projet quand dans les années 90, la Direction départementale de l’équipement, maître d’ouvrage pour toutes les constructions routières, multipliait les collaborations innovantes avec plus de 70 architectes, et paysagistes pour l’insertion urbaine et sociale d’une rocade. La L2, lancée en 1993, n’a toujours pas vu le jour et se pose déjà la pérennité d’une oeuvre oubliée réalisée à sa périphérie...
David COQUILLE
Elles sont là, pareilles à des sentinelles qui tiennent l’entrée nord de Marseille, énigmatiques, sans nom, plantées dans l’herbe détrempée d’un vaste bassin de rétention creusé à la confluence des autoroutes A7 et A55 sur la commune des Pennes-Mirabeau.
Treize colonnes de béton brut, en courbe, à la chute du tunnel des Treize-Vents qui franchit le massif de l’Estaque, alignées en plan horizontal parfait, muettes comme des statues de l’île de Pâques. Chacun d’entre nous les a un jour aperçues en allant sur Vitrolles ou en revenant de Martigues. Seuls les automobilistes peuvent voir ces géants de béton. « J’ai jamais su ce que c’était », s’étonne un riverain du quartier de la Cabassette qui les aperçoit au loin depuis des années. Un sentier à travers bois connu des taggers nous guide vers ce no-man’s land incroyablement calme et champêtre, investi par les lapins. Le spectacle de mégalithes alignés est saisissant à l’épicentre de ce vaste spaghetti autoroutier où se déversent chaque jour le flux torrentiel de 230.000 véhicules du Grand Marseille. Mais qu’est-ce donc ?
Au départ de cette intrigue urbaine, un renseignement nous signalant ces vestiges comme l’oeuvre d’un prof d’urbanisme de Luminy, ce que démentait l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Marseille. Aucune trace à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de ce qui est très visiblement un ouvrage d’art. Rien non plus à la Direction interdépartementale des routes Méditerranée, héritière dans ses sous-sols des archives de l’ex-DDE. Force est de constater que l’ouvrage a disparu des mémoires, effacé des administrations en restructuration. « On voudrait intervenir dessus, on ne saurait même pas ce que c’est », s’étonnait-on à la DIRMED. Interrogée en mars 2012, la Direction régionale des Affaires culturelles excluait que ce fut une réalisation au titre du “1% artistique”. Elle lançait toutefois sa propre enquête pour tirer au clair cette énigme et triomphait dix mois plus tard, grâce à la ténacité de Mireille Jacques, l’assistante de la conseillère pour les arts plastiques. De nous révéler en janvier 2013, une surprise de taille : « L’ouvrage constitué de 13 piliers situé entre Marseille et Vitrolles à l’embranchement des autoroutes A55 et A7 qui n’est visible qu’en voiture, a vraisemblablement été conçu dans les années 93/94. Il est l’oeuvre de Kathryn Gustafson. »
« Une belle histoire d’une oeuvre qui n’est peut-être pas révélée »
Les treize piliers au centre du vaste échangeur autoroutier des Pennes-Mirabeau - 12 hectares de superficie - sont bien l’oeuvre de cette architecte paysagiste américaine de renommée internationale. Au sein de deux cabinets, Gustafson Porter (Londres) et Gustafson Guthrie Nichol (Seattle), cette plasticienne de 62 ans, formée à Paris, a imprimé son identité sculpturale à de nombreux espaces publics dans le monde. Sa réalisation la plus connue se trouve à Londres : la fontaine à la mémoire de Diana, Princesse de Galles, à Hyde Park en 2004. Les réalisations de cette « sculptrice du paysage » sont une réflexion sur l’histoire d’un site, la nature qui l’environne, la conscience physique de l’écoulement dans le temps et dans la terre d’un fluide essentiel, l’eau. Ainsi d’un ouvrage mémoriel qu’elle réalise actuellement : le Jardin du Pardon de Beyrouth.
Cette francophile diplômée de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles a livré à la France des oeuvres remarquables qui empruntent au mouvement Land Art. Ainsi des Jardins de l’Imaginaire (1997) à Terrasson-la-Villedieu en Dordogne. C’est encore à Kathryn Gustafson que l’on doit l’aménagement très zen du jardin intérieur (ci-contre) de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence qui fait ressurgir une noria du XIIème siècle.
On lui doit le square des droits de l’homme a à’Evry, le Square Rachmaninov à Paris. Jusqu’au design d’une nouvelle génération de pylônes EDF, C’est donc cette plasticienne reconnue qui, voilà vingt ans, a légué à Marseille sa « porte d’entrée ». « C’est une belle histoire d’une oeuvre qui n’est peut-être pas révélée ni lisible pour les profanes mais si cet échangeur énorme a une âme, c’est bien le résultat de son travail », se souvient Régine Vinson qui collabora au projet quand dans les années 90, la Direction départementale de l’équipement, maître d’ouvrage pour toutes les constructions routières, multipliait les collaborations innovantes avec plus de 70 architectes, et paysagistes pour l’insertion urbaine et sociale d’une rocade. La L2, lancée en 1993, n’a toujours pas vu le jour et se pose déjà la pérennité d’une oeuvre oubliée réalisée à sa périphérie...
David COQUILLE
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